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Extrait des chroniques de Henri Venel
fondateur à Orbe de l’institution de l’Hôpital puis à Genève l’institution de Champel.


Cette chronique est très intéressante puisqu’elle relate les premiers éléments de l’activité de Frédéric Edouard Sillig à son arrivée en Suisse. Hormis les retraits de début de paragraphe, l’otthographe (y compris les fautes) et la ponctuation originale ont été strictement maintenues.
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INSTITUTION DE L’HÔPITAL
3ème. phase, 1828 - 1829 - 1830.


Quel événement pour la petite ville d’Orbe que cette étonnante prospérité de notre Institut, avec, cependant de si faibles moyens. Heureusement j’avais Silllg, cet excellent et généreux ami, sur qui je pouvais toujours compter.
Dans cette troisième phase l’Hôpital ne suffisait plus. Je fus obligé d’improviser une troisième volée (des plus petits) dans l’appartement supérieur de l’Abbaye, délaissé par ma belle-mère Isabelle (Mennet), qui était allée se loger dans la maison des Corlet.
C’était, en quelque sorte, essayer de l’Abbaye, pour voir, s’il nous conviendrait, un jour, d’y transporter l’Établissement de l’Hôpital.
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Qu’on me permette ici de donner un petit aperçu général. L’Abbaye, ce berceau de mon enfance, était encore occupé par ma chère Belle-mère Émilie, la deuxième femme de mon père, qui l’avait singulièrement prorogée par contrat. Elle occupait tout le bas de la tour, plus las jardins du nord. Pendant mon expatriation, je lui avais laissé (à elle pauvre) la jouissance de tout. c’était en faire jouir la vieille et rusée domestique, dont elle dépendait. Nous étions "enlacés". Cependant je ne regrettais pas les murs et terrasses de soutènement du terrain. Tout le pourtour de ce charmant jardin m’avait coûté (cap de la Ville d’Orbe) et il était naturel, si nous restions à Orbe, que je voulus tirer parti de mes sacrifices et utiliser derechef l’Abbaye "rajustée".
J’en ai parlé à trois personnes; Mr. Creux, Mr. Guibert, Mr. Sanderson. C’est ce dernier qui, sans doute, fut cause que nous sommes allés à Genève.
Le plan, soumis à Creux, à l’époque de Benjamin, était considérable; mais exécutable successivement. Il consistait à acheter les granges voisines pour être maître de la propreté de la rue et utiliser, pour les jeux des élèves, tous les jardins, cours et terres vagues entre deux. On aurait tenté de s’arranger avec la Ville d’Orbe pour en acheter ce coin de rue, qui eût augmenté les terres vagues. Les fumiers eussent ainsi été chassés de la rue d’en haut; on eut les abords libres avec le magnifique Grand-Pont, construit entre 1826 et 1830, et la campagne.
Constançon, lui-même, m’aurait volontiers vendu sa maison. Je consultai Mr. Guibert et il en résulta le plan Landry, d’Yverdon, et ses devis, révisés par le célèbre Perregaux, de Lausanne. Coût 12000.- Livres de Suisse. Mais, pour celà, il fallait que Constançon put s’arranger avec Madame Thomasset, la mère. Le Syndic Carrard intervint et lui conseilla de s’accomoder avec Constançon; mais son gendre Lebel (Antoine) s’y opposa préférant de rebâtir son château de Pierrefleur.
Sur ces entrefaites, Mr. Sanderson, que je consultai, me détourna complètement de celà. et Caroline Wagneux, ma cousine, vint mettre le dernier poids dans la balance.
Pour l’heure donc, sans déranger ma vieille mère, j’établis le petit quartier, environ 12 à 15 élèves, dans les deux bâtiments de l’Abbaye. La Tour pour y coucher, la petite Abbaye pour y recevoir les leçons, les jardins, grande terrasse pour y jouer.
A cet effet, je dus utiliser mes jeunes séminaristes, Ulrich, Daniel, Wüst, Füchslin. Malheureusement je me mépris sur le caractère du troisième, bien inférieur au quatrième, auquel j’aurais dû donner toute ma confiance.

Mais Sillig, généreusement, s’offrit à être Chef de ce troisième quartier et habita quelque temps l’Abbaye. Il était tellement jeune et modeste qu’il se sentait refoulé au second rang par Mr. Alexis; qui a toujours payé de beaucoup d’assurance et d’audace.
Un jour, le voyant triste, il me l’avoua, je lui dis: "Prenez la gymnastique et vous serez le premier." et effectivement il ne tarda pas, par là, à devenir le Chef militaire (capitaine) de tous les quartiers; mais pour celà il fallut se mettre à la gymnastique. Il s’y mit si bien, si rationnellement, comme les Allemands font tout ce qu’ils font, qu’il y devint. personnellement, aussi fort en pratique qu’en théorie, à l’instar de ses devanciers, Mr, Haffner de Zürich.
C’est alors, et pour lui principalement, que je consacrai à la gymnastique, une de mes grandes caves de l’Hôpital, où l’on ne tarda pas à donner une "Fête de gymnastique" servant d’examen; à laquelle on invita une grande société, qui se termina par un bal.
J’avais d’ailleurs obtenu de la Municipalité, de percer la maison en cet endroit pour communiquer aux terrasses où était la gymnastique extérieure. On voit par là que j’appréciais la gymnastique. J’avais mâme fait, à ma manière; le plus beau plan systématique à cet égard; appelant "gymnastique". tout exercice quelconque, tant du coeur et de l’esprit que du corps. Ainsi la récitation est une gymnastique de la mémoire. la déclamation forte est une gymnastique des poumons; l’improvisation, une gymnastique de la concentration des idées et de la présence d’esprit et l’habitude de supporter (spartiatement) un peu de douleur n’est pas inutile à l’énergie de l’âme. Enfin chers amis... exercez-vous, je vous en conjure, à vous vaincre, à vous surmonter vous-même; à triompher de vos mauvais penchants si vous aviez le malheur d’en avoir.
Et le brave Sillig me comprit du premier coup d’œil, laissant à son collègue Alexis les avantages futiles, il prit pour sa part les avantages réels. On le voit. l’Hôpita1 No 3 devint de plus en plus Institut Venel et Sillig. 
Cependant ma chère femme souffrait. Sa soeur cadette Sophie est morte le 8 juillet 1826; notre mère, Isabelle Mennet, le 29 mars 1827. Notre tante Zorn-Venel, le 8 mars 1828.
Jolival a été vendu au printemps 1827 et Mennet s’est établi aux Granges d’Orbe. 
Ma vieille mère avait enfin été délivrée de la domestique qui l’avait fascinée; elle est morte le 9 octobre 1827. Antoinette montrait des dispositions remarquables sur la harpe. Mr. Etlin ne suffisait déjà plus. On pensait
à Genève de plus en plus sérieusement, pour lui permettre de se perfectionner. Une intimité déjà grande s’était établie entre ma chère Lise et l’excellente Dame Boissier, entre Antoinette et Valérie. Cette pensée de Genève nous saisissait de plus en plus à la gorge.
Mais, auparavant, voici venir un tourbillon de fêtes, plus ou moins prématurées pour nos jeunes-filles. Toute une série de comédies. On y était stimulé par de nouvelles connaissances, par Mlle. de Pietrequin, par son cousin Mr (l’avocat) Gros, que Mr. Sillig ne sut pas d’abord distinguer comme dominateur présomptif de la belle cousine.
Tout cela réussit à donner à l’Institution de l’Hôpital, un brillant, un éclat qui fit du bruit à la ronde. Mais plus encore, peut-être, une nouvelle institution dans l’Institution, à laquelle je dus demeurer étranger; les célèbres jeudis de la Salière ! Une salière de bois, telle qu’on en trouve dans les cuisines vaudoises, fendue d’un trou, comme la boIte aux lettres, était suspendue dans le corridor. Chacun et chacune pouvait y glisser sa production littéraire. Tous les huit jours la boIte était levée, vidée, lue en arcopage, passée dans sa valeur intrinsèque ou celle que la malice ou l’épigramme pourrait y mettre; copiée dans le journal du jeudi, par l’un des trois rédacteurs.
Les trois juges infernaux, qui décidaient sommairement et sans appel du mérite de chacune de ces productions étaient : Mr. Alexis Roulet, Mr. Edouard Sillig, Mr. Thomas Jeans, secrétaire. Qui était-ce donc que ce dernier, qui joue un rôle si aimable, le plus malicieux de tous dans cette rédaction ? A l’époque où nous vint Mr. Delachaux, Mr. Sanderson me parla de l’utilité d’avoir, attaché à l’Institut elle-même, un Anglais, un maître d’anglais. Mr. Thomas Jeans était le neveu de Madame Sanderson. Il vint chez moi comme ami de la maison, plus que comme auxiliaire obligé. Celà allait mieux à ses prétentions d’indépendance. De goûts aristocratiques, il continuerait, s’il le pouvait, ses villégiatures de pêche et de chasse, avec la haute société anglaise dans le Canton de Vaud.
Notre brave ami donnait donc, dans l’Hôpital., les meilleures leçons d’anglais (il remplaçait de Moltino); mais c’était en hiver seulement, car l’été il avait bien autre chose à faire et il disparaissait pendant quelques semaines, tour à tour ici ou là; Mais surtout à Bonvillard, près de Lord Ellis et Made Ellis, sa gouvernante.
Pour la lecture du "Journal du Jeudi", on faisait cercle d’amis, invités ordinaires et extraordinaires, avec accompagnement de musique et de chant. Plaisir charmant, suaves quelquefois; mais plutôt piquants et quelque fois mordants; car Alexis s’en mêlait. Le tout benjolivé par les spirituelles caricatures du malin, mais toujours aimable, Thomas Jeans.
Pendant les trois années, nos voyages se firent toujours sur les principes que j’avais établis soit: L’étude des choses en voyage, solide préparation qui précède; journaux soignés qui suivent et les dessins (album) qui accompagnent ces derniers.
Notre troisième voyage, en 1827, fut une course improvisée à Genève, au Salève et retour par le tour complet du lac Léman, sous la conduite de Sillig.
Ce fut l’occasion d’amener à Genève, pour la première fois, notre chère fille Antoinette et de causer de notre plan avec Madame Boissier. Elle se chargea des ouvertures auprès de Madame Henry, la célèbre harpiste. Nous eûmes la cruauté de la laisser avec son petit coffre, sa petite robe noire de soie et quelque monnaie du Canton de Vaud. Tout celà te fit pleurer, pauvre petite. Elle venait d’accomplir sa douzième année.
Le quatrième voyage, le 7 juillet 1828, fut plus grandiose. La traversée de l’Oberland, le passage du St. Gothard, le Canton du Tessin, les îles Borromées, le grand canal, Milan, la grande ville, la Chartreuse de Pavie, Voghera, Novi, l’Apennin, Gênes la superbe et la mer. Retour par le Simplon, le Valais et le lac Léman, Orbe.
Nous étions 27 à 28 personnes. A Milan nous visitâmes le Corso de la Porte orientale et le Grand Institut ou École de St. Luc, qui forme des sous-officiers pour l’Autriche. Un frère naturel de l’Empereur d’Autriche, le Colonel Yùnk, le dirigeait. Il nous accueillit et nous donna son bel ouvrage sur la gymnastique. C’est ce jour-là que j’annonçai aux élèves et à ma chère Lise, que nous irions sur le rivage de la Méditerranée. J’avais loué. pour huit jours et pour 25; louis, un grand et magnifique omnibus à quatre chevaux. Nous étions tous en blouse grise et chapeau de paille,.le bâton ferré des Alpes à la main. Tout celà. f’it grand bruit sur les pavés, en entrant et traversant Milan, pour y joindre le père Giroud. On sortait des maisons et des magasins pour nous voir.
Le cinquième voyage, en juillet 1829 fut conduit par Sillig. Ma pauvre femme était malade, de sorte que je restai avec elle à la maison. Ce fut pour nous un grand repos. Le but du voyage était: Bezençon, Dijon. Châlons et Lyon.
Mr. Delachaux entre en fonction le 1er. octobre 1829. Dès ce moment le Plan de l’Institut fut complété par l’enseignement scientifique; les mathématiques pures et appliquées, qui sont à la base du deuxième enseignement. Mr. Delachaux, Neuchâtelois très instruit dans cette branche, comblait donc une lacune importante.
Une chose nous ébranlait: Mr. Alexis Roulet parla de départ vers la fin de 1829. Fuchslin était entré en fonction à Noël 1829. Buess, vers la même époque, s’était donné à nous; mais surdité croissant, nous ne pûmes l’occuper longtemps. Il logeait dans la petite Abbaye, d’où il venait donner des leçons d’italien et la tenue des livres.
Tout à coup Sillig ! Sillig, lui-même, parle de départ. La Saxe le réclame. un poste lucratif se présente. Il avait pris congé de Mlle. Haller, de Berne; mais il rêvait, peut-être, autre chose.
Ce fut pour moi un coup de foudre. Je vis combien je l’aimais. Oh ! combien nous causâmes ! Je le vis ébranlé.
Enfin, le 20 février 1831, après une promenade intime, à deux, sur le bord de l’Orbe, vis-à-vis le pré de l’Ile...de retour à l’Hôpital, il me dit: « Cher ami, je reste .» Je lui sautai au cou et l’appelai mon fils.
Au commencement de 1831, mes deux filles aimées, Antoinette et Sophie, étaient à Genève, chez Mademoiselle Bordier. C’est là qu’elles apprirent la résolution de Sillig.
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Auparavant, d’Ivernois nous ayant proposé le jeune Vicomte de Sarrazin, français refusé dans tous les collèges royaux, enfant gâté de son papa-gâteau, nous organisons aussitôt un voyage à Paris pour aller le chercher. Voyage à deux. Lise et moi !. Quel voyage, quelle fête ! Je la voyais si heureuse. De Genève j’avais pris le coupé de la diligence pour nous seuls. C’était en avril 1830. Il y avait de la neige sur la Faucille. Enfin tout Paris s’éclaire devant nous. Ma petite Lise croyait faire un rêve oriental.. Nous y restâmes quelques semaines. Nous partageâmes même un peu de notre bonheur avec Caroline Wagneux et Mlle. Erskine.
Le retour ne fut pas le même, nous avions un tiers importun et maussade, le jeune Vicomte de Sarrazin, qui ne nous causa que du déplaisir. Nous revînmes par Melun, l’Yonne, Autun, Châlons sur Saône, où nous nous embarquâmes jusqu’à Lyon, bien mort après Paris. Nous traversons le Jura. A Genève nous reprenons Sophie.
Du 27 au J1 juillet 1830, nous repartons avec les élèves pour un petit voyage de vacances. Notre but Chamonix et le Mont-Blanc.
Quelle chance d’avoir été à Paris au printemps. Plus tard notre course aurait échoué, la révolution de juillet étant imminente.
Or c’est dans ce court intervalle de notre voyage à Paris. que Mr. de Bourmont a fait, pour la Restauration, la conquête de l’Algérie. Chose curieuse, nous entendîmes, derrière la Dôle. les cloches françaises qui annonçaient le Te Deum !
Et à notre retour du Mont-Blanc, le résultat terrible des célèbres ordonnances : Charles X était culbuté du trône et la dynastie d’Orléans élevée sur le pavois.
Pour compléter cette année 1830, j’ajoute, pour mémoire, que nous fîmes encore, avec les élèves une petite course au Camp de Bière, qui réussit fort mal.
Durant ces trois ans, voici les noms de quelques élèves du pays; Charles et François Grenier; Henri Cuénod; Rodolphe Miéville; Charles Mercier; Louis Egeli; Louis David; Auguste De Trey; Hermann Nestlé; Bob Sanderson.- Frédéric Stierlin; Gustave Jacot; Frédéric Matthey.

Édité le 12.06.2012

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