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L'Institution de Bellerive à La Tour-de-Peilz ou Institut Sillig
Laurent Ballif



«Les quelque quatre-vingts kilomètres qui séparent Genève de Vevey, le train met deux heures à les parcourir; s'arrêtant aux moindres gares fleuries de géraniums.
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A partir de Nyon, Paul se trouva «en Suisse». C'est-à-dire au diable de Belmont et des frontières de la «République». Il abordait un pays où tout était différent de chez lui. La Riviera vaudoise, qui s'étire de Lausanne à Montreux et à Chillon, avec ses hôtels, ses tramways bleus, ses villas, ses kiosques à journaux et à chocolat, marquait la limite du connu. Ici le cœur n'a plus de repères. On entre dans un pays où les Suisses ne sont plus qu'employés, conducteurs de tramways, portiers d'hôtel ou professeurs et apparaissent le dimanche tout habillés de blanc dans les défilés des sociétés de gymnastique. Sur cette population inférieure règnent les touristes, les hivernants, les jeunes gens des pensionnats...
«L'institution Gilbert se dresse tout au bord de la route, qui coupe en deux segments le parc avec ses bâtiments et les terrains de jeux. C'est une grande baraque rectangulaire flanquée des classes, de sa salle de gymnastique, de la salle de prières, le tout donnant sur un jardin spacieux. 
"A 6h10, M. Charles (l'aîné des Messieurs Gilbert) bat une cloche dans l'escalier et les garçons se lèvent en hâte dans le «grand dortoir" où chacun d'eux a son lit de fer, sa cuvette de fer, son pot de chambre de fer, que le jardinier va vider dans l'évier puant au fond de la pièce. La journée commence par un petit culte en commun. Les leçons vont de 7hl/2 à midi, avec une récréation à dix heures.

Guy de Pourtalès, LA PÊCHE MIRACULEUSE, 
1941, Gallimard. 





Il suffit de remplacer «Gilbert» par «Sillig» et «Charles» par «Édouard », et le tour est joué. Le décor est planté. On est bien à Bellerive,' Entre-Deux-Villes, à La Tour-de-Peilz, à proximité du lac et en bordure de l'Oyonne, au sein de l'Institut Sillig à la fin du XIXe siècle ou au début du XXe. 


L'Institut Sillig avait été fondé en 1836 par Édouard Frédéric Sillig01, enseignant, né en 1804 à Frankenthal, pays de Saxe en Allemagne. Il fit des, études de théologie à Meissen, puis fut professeur à l'Institut Venel à Orbe et à Chapel, Genève. Il fonda ensuite à La Tour-de-Peilz la pension Bellerive. Épousant Augustine Julie Roulet, il eut cinq enfants: une fille, Adélaïde, morte à 6 ans, et 4 fils: Oscar (1838-1910), Arnold (mort en bas âge des suites d'un coup de sabot de cheval), Édouard (1841-1918) et Edwin (1844--1934). Ayant acquis la bourgeoisie de La Tour-de-Peilz en 1849, il développa son institution jusqu'à en faire un établissement de grande renommée internationale. 
Il fut en particulier le promoteur et propagateur de nouvelles méthodes pédagogiques, mettant l'accent sur le lien à établir entre apprentissage intellectuel et dépense physique. Les cours - du grec aux mathématiques, de la grammaire française aux langues étrangères, de la religion aux arts - n'avaient lieu que durant la matinée, les après-midi étant consacrés à la pratique des sports. Il introduisit ou développa dans la région des activités sportives comme le canotage, la gymnastique, la luge, les excursions de montagne, la natation, etc. Ses enfants et petits enfants poursuivirent cette tradition et firent de Bellerive un club en vue dans de nombreux sports. C'est grâce à l'Institut Sillig que Vevey-Bellerive fut le premier vainqueur, en 191902, du premier championnat de Suisse de hockey sur glace, à la naissance duquel un descendant, Max Sillig, contribua grandement.bourbaki.jpg

Philanthrope, Édouard Sillig avait pour devise: «L'homme le plus heureux est celui qui a suffisamment de volonté pour faire tout le bien qu'il ait résolu de faire». Il décéda le 6 avril 1871, après quelques jours de maladie (petite vérole)03, laissant à ses fils le soin de continuer son œuvre.
Cette remarquable pension de jeunes gens eut pour hôtes des enfants issus des cours d'Europe, des grands industriels anglais ou américains, des familles aisées de Suisse. 
Les trois fils survivants ont tous assumé la direction de l'Institut, soit conjointement, soit alternativement. Pourtant, Oscar en vint à se fâcher avec le reste de la famille. Excellent cavalier, il construisit pour son propre compte un manège au bord du lac sur la partie est du terrain de Sport, séparé par un immense mur (que la famille ressentit comme le mur de la honte» ). 

Édouard 2 a lui aussi plusieurs enfants, dont l'un s'appelle à nouveau Édouard 3 (1887-1968). Élevé dans l'Institut, il ne participe pourtant pas à sa gestion, mais devient, en tant qu'avocat, un notable respecté du monde de la magistrature et du sport (fondateur du Cercle de la Voile de La Tour-de-Peilz). C'est son cousin Max (1873-1959), fils d'Edwin, qui sera le directeur de Bellerive jusqu'à sa fermeture en 1940. A cette date, alors que les hostilités avaient restreint la présence d'élèves étrangers, l'Institut se replia sur Villars, où il possédait des locaux. L'Institut possédait cette antenne à Villars en raison de son engagement dans les sports d'hiver, Max Sillig étant en particulier très amateur de hockey sur glace (on le surnommait le Père Hockey) et de bob. Il a également été un photographe prolifique.
Édouard 3 Sillig a eu quatre enfants: deux garçons, deux filles. La villa familiale des Sillig, située tout à l'est de la Route de St-Maurice, est toujours occupée par des membres de la famille. Cette génération était également fortement engagée dans le sport. Elle fonda un club privé de natation, le Club des Alevins de La Tour, dans les années 30, et fut à l'origine du club de ski de Vevey «Qua non descendam». 





[01] [ndlr]. Certaines sources le prénomment « Edouard Frédéric » mais son prénom exact est Frédéric Edouard [ retour ]
[02]  [ndlr] Erratum : En fait le premier championnat de Suisse de Hockey sur Glace a eu lieu en 1909. Il a été gagné par le HC Bellerive. Le championnat de Suisse de 1919 a également été gagné par la même équipe. [ retour ]
[03] Cette épidémie fut introduite en Suisse par les internés français de la Guerre de 1870-71. De nombreuses personnes furent contaminées par cette maladie et en moururent. [ retour ]

Édité le 22.11.2017

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